Excellente année 2024 !
J'aime bien l'idée que vous puissiez vous faire offrir un de ces livres !
La plupart des liens de la liste ci-dessous pointent vers le site les.libraires.com qui permet de commander en ligne et contribuer au commerce local sans passer par un géant de la vente à distance….
Ah, vous vous demandez peut-être si j’ai lu tous ces livres… réponse à la fin de la liste !
Si vous pensez que vos élus ne sont pas à la hauteur…
Pourquoi celui-ci ? Parce que le titre est très bon et le contenu va bien au delà de conseils de communication, rien à voir ! Vous y apprendrez que la créativité n’est pas innée mais se cultive et que pas mal de bon sens peut aider. Beaucoup d’exemples donnent de l’espoir aussi (si on fait abstraction d’un des auteurs de la préface…). Bien souvent c’est de la nature et du cadre concret des relations avec nos élus dont il faut prendre soin.
A glisser discrètement sous le sapin de la commune avec la dédicace : “Pour M. Le maire, créativement votre”.
Si vous pensez que la transition, c’est l’affaire des services techniques ou du chargé de mission PCAET
Lisez l’État qu’il nous faut, De Céline Danion, Romain Beaucher, Daniel Agacinski - Berger-Levrault - 2021
Pourquoi celui-ci ? Parce que c’est surement le meilleur livre pour comprendre qu’on arrivera à rien dans ce nouveau régime climatique si on ne transforme pas nos administrations. Un des rares livres qui fait explicitement le lien entre la dynamique de transformation publique active depuis quelques années et l’importance des changements liés aux transitions. Mention spéciale au passage sur les mots et l’importance donnée aux politiques culturelles, c’est vraiment très bien vu. On se prend à rêver d’un état relationnel, mais oui les collectivités, c’est pour vous aussi.
Le genre de livre qui devrait être remboursé par la sécu !
Si vous pensez que le territoire, c’est la carte administrative…
Lisez Où atterrir ? - Comment s'orienter en politique - Bruno Latour, 2017
Pourquoi celui-ci ? Parce qu’il pose en titre la bonne question et qu’elle est fondamentalement territoriale. C’est tout l’enjeu de comprendre ce qui nous relie à la terre bien au delà des découpages administratifs. Livre accessible d’un auteur incontournable, disparu récemment. On ressort de ce livre en ayant compris que l’enjeu est bien au delà du carbone et que la question est profondément politique.
Le genre de livre qu’il faut donner à son collègue le plus perché pour l’aider à… atterrir (oh la vieille blague).
Si vous croyez que la croissance verte va tout régler…
Lisez Greenwashing - Manuel pour dépolluer le débat public - 2023
Pourquoi celui-ci ? Parce que c’est un vrai festival de désintoxication ! “Saviez-vous que les objectifs de « neutralité carbone » reposent largement sur des technologies qui n’existent pas ? Que la destruction d’une zone naturelle peut être « compensée » par l’investissement dans un produit financier ? Que l’on ne produira jamais assez d’hydrogène « vert » pour remplacer le pétrole ?”
Une lecture indispensable pour travailler son autodéfense intellectuelle.
Si vous pensez que le plastique des poubelles jaunes est recyclé…
Pourquoi celui-ci ? Parce que l’autrice très active dans l’ONG Zero Waste démontre que non seulement on ne sait pas bien recycler et qu’on arrive à traiter qu’une part infime des déchets plastiques, mais qu’en plus le recyclage est devenu un argument de vente pour des produits jetables… Et si le bon déchet c’était le non-déchet ? Les collègues en charge de ces politiques le savent bien… et si l’avenir de ces politiques publiques c’était la massification de la consigne ?
Si vous pensez qu’il n’y a pas 36 manières d’être écolo…
Lisez La conversion écologique des Français. Contradictions et clivages - Philippe COULANGEON, Yoann DEMOLI, Maël GINSBURGER, Ivaylo PETEV, Puf, 2023
Pourquoi celui-ci ? Parce qu’il est issu d’une grande enquête sociologique menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française en 2017. et la vertu de ce genre de démarche est de monter la variété des profils, c’est toujours plus complexe que ça en à l’air ! Non non vous n’êtes pas seul à avoir des contradictions… Et oui, beaucoup plus de gens qu’on ne le pense ont conscience des enjeux. Rassurant, mais pas suffisant.
Si vous pensez qu’il suffit de sensibiliser les gens ou de bien communiquer pour changer les comportements…
Pourquoi celui-ci ? Parce qu’entre l’information reçue et le passage à l’action il y a un monde complexe… Il est très utile par exemple d’identifier les freins et activer les bon leviers pour passer à l’action, des fois ça marche bien mieux qu’une grosse campagne de communication trop chère ! Derrière la métaphore mécanique se cachent les sciences comportmentales et la psychologie sociale. C’est tellement intéressant que certaines collectivité (dont la mienne) s’outillent à ce sujet et cherchent à articuler sciences comportementales, design et intelligence collective. L’Etat est (pour une fois) en avance sur les collectivités avec une direction dédiée, à la DITP, où vous trouverez plein de ressources.
Tout ça semble compliqué mais ces approches sont très opérationnelles et redonnent de la force au comment là où trop de cadres territoriaux ont été biberonnés au pourquoi.
Si vous pensez que le féminisme se résume au plan égalité femmes-hommes de votre collectivité
Lisez Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? Maud Simonet, éditions textuel 2018
Pourquoi celui-ci ? Parce qu’il s’agit d’une stimulante réflexion sur le travail sous l’angle du bénévolat. Et la réflexion part des apports des luttes féministes et ses controverses autour du statut du travail domestique. Prenons donc le féminisme pour ce qu’il est : une lutte contre des rapports de dominations.
Un livre à feuilleter en faisant le ménage, messieurs.
Si vous pensez que la mixité résidentielle est la solution aux problèmes urbains ou que le transport collectif est la solution aux problèmes de mobilité…
Anachronismes urbains - Jean-Marc Offner - Presses de Sciences Po - 2020
Pourquoi celui-ci ? Parce que c’est un véritable festival de démontage d’idées reçues, j’avoue je suis fan de Jean-Marc Offner. La plupart des mythes des politiques publiques urbaines sont analysées et secouées, même si certains son déjà dépassés par l’évolution de la conjoncture comme celui sur le “tous propriétaires” qui n’est plus défendable.
Un livre qu’on devrait offrir à la naissance de chaque futur DGS.
Si vous pensez que la redirection est un sujet pour les exécutifs verts…
Lisez Redirection Urbaine de Sylvain Grisot, éditions Apogées, 2024
Pourquoi celui-ci ? Bon il sort en Janvier 2024 mais je vous le recommande quand même parce que je suis fan de Sylvain Grisot, auteur de l’excellent Manifeste pour un urbanisme circulaire. L’excellente interview que j’avais repérée avec Emmanuel Bonnet préparait le livre… Voilà un urbaniste qui a tout compris et partage des inspirations et des solutions. J’ai hâte de le lire !
Si vous pensez que l’innovation et l’attractivité des villes ou métropoles est l’alpha et l’oméga du développement économique…
Pourquoi celui-ci ? Bon c’est un papier de recherche, pas (encore?) un livre mais voilà ce que j’ai lu de plus stimulant ces dernières années sur les réflexes du développement économique territorial… On y découvre les vertus du saupoudrage des subventions sur l’innovation économique et on comprend que concentrer l’innovation dans les centres urbains métropolitains n’est pas une bonne idée.
De quoi débattre de longues minutes (sic) avec votre élu ou DGA dev-éco, enfin si c’est possible tant ce silo est trop souvent aveugle à tout ce qui ne génère pas des emplois dans n’importe quelles conditions. J’en avais parlé ici.
Si vous pensez que le numérique n’est qu’un outil ou un parc d’ordis gérés par la DSI…
Lisez L’être et l’écran - Comment le numérique change la perception, Stéphane Vial, PUF, 2017
Pourquoi celui-ci ? Parce que c’est mon livre préféré sur le numérique et que j’ai envie de le glisser déposer dans la liseuse de Nicolas, le tech-guy de la DSI qui balance à qui veut l’entendre que tout ça, au fond, ce sont des outils… Livre subtil et pourtant très accessible qui permet de dépasser les éternels débats des clubs de philes et de phobes sur la question.
Le point de rencontre c’est le design numérique et croyez moi le livre vaut le détour pour tout ceux qui s’intéressent à ce que le numérique transforme. Un livre important pour moi. Et vous ?
Si vous pensez qu’il suffit d’éduquer les jeunes aux médias et à l’information pour lutter contre les fake news
Lisez Grandir informés, Anne cordier, Editions C&F, 2023
Pourquoi celui-ci ? Voilà un livre précieux et une chercheuse qui creuse un sillon à ne pas rater - celui d’une recherche sociologique de terrain (pléonasme) accessible et utile aux praticiens de l’action publique. Lisez Anne Cordier ! En particulier pour les bibliothécaires qui me suivent (cœur avec les doigts) elle permet de comprendre la diversité et la complexité des pratique numériques des jeunes. Voilà qui pourra éviter le carton rouge du jour : celui d’une éducation aux médias mal comprise, mal maîtrisée qui tente de rabattre des pratiques diverses vers des pratiques légitimes aux yeux des institutions.
Et si on commençait par les écouter et les comprendre ? Et s’il fallait qu’ils créent des contenus qui leur ressemble ? Et s’il fallait qu’ils ou elles vivent des expériences médiatiques ?
Si vous pensez que la maintenance des équipements municipaux est l’affaire des services techniques ou des délégataires
Lisez Le soin des choses. Politiques de la maintenance Jérôme DENIS, David PONTILLE, La Découverte, 2022
Pourquoi celui-ci ? Parce que les enjeux de maintenance sont bien plus politiques qu’on a tendance à le penser, le care, le soin, c’est loin d’être réservé aux relations humaines.
“Tout objet s'use, se dégrade, finit par se casser, voire par disparaître. Pour autant, mesure-t-on bien l'importance de la maintenance ? Contrepoint de l'obsession contemporaine pour l'innovation, moins spectaculaire que l'acte singulier de la réparation, cet art délicat de faire durer les choses n'est que très rarement porté à notre attention. Ce livre est une invitation à décentrer le regard en mettant au premier plan la maintenance et celles et ceux qui l'accomplissent. En suivant le fil de différentes histoires, ses auteurs décrivent les subtilités du " soin des choses " pour en souligner les enjeux éthiques et la portée politique.”
Un livre à offrir pour prendre soin du DST et son équipe, avec un bisou ou a votre délégataire au moment de renouveler (ou pas) le marché avec un bisou aussi (mais après notification)
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Si vous pensez que la défiance démocratique est une fatalité…
Lisez, Les raisons de la défiance, Luc Rouban, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2022
Pourquoi celui-ci ? Parce que non, ce n’est pas une fatalité et le coupable c’est pas les rézosociaux… comme on le dit trop sur… France-Info. Entre sentiment de déclassement, manque de reconnaissance et dépossession le constat métrite d’être précis et les solutions ne sont pas magiques non plus, elle passent pourtant nécessairement par la recherche de confiance avec les gens.
Si vous pensez que l’art contemporain est définitivement incompréhensible…
Lisez Esthétique de la rencontre : l’énigme de l’art contemporain, Baptiste Morizot, Estelle Zhong Mengual, Seuil, 2018
Pourquoi celui-ci ? Parce si que pas de gens autour de vous sont devenus allergiques à l’art contemporain, c’est que quelque chose ne tourne pas rond. Les auteurs (dont Baptiste Morizot plus connu pour ses écrits sur les alliances avec le vivant que sur le sujet de l’esthétique) partent du constat qu’il doit se passer quelque chose avec une œuvre sans pour autant que celle-ci se transforme en une attraction facile à digérer !
La ligne de crête n’est pas simple à trouver mais soyez patients, je vous prépare un petit parcours de lecture sur le sujet avec des chouettes exemples !
Si vous pensez que les immigrés prennent le travail des français ou que l’aide au développement peut tarir les flux migratoires…
Lisez On a tous un ami noir Broché - François Gemenne - Fayard - 2020
Pourquoi celui-ci ? Parce que la montée de l’extrême droite (en particulier chez les cadres de la focntion publique) est tout sauf une raison de ne pas être un peu sérieux sur le sujet des migrations. Et François Gemenne fait le job, études à l’appui. On y apprend que non, l’aide au développement n’est pas une solution pour “tarir les flux”, que non fermer les frontières n’est pas efficace, sauf pour faire fructifier les affaires des passeurs. Là encore ça fait du bien de revenir à des études qui analysent à hauteur des gens les motivations pour partir.
Au passage, non ce n’est pas vrai que les immigrés prennent des emplois aux français (poser la question aussi abruptement est devenu nécessaire, soupir) tout simplement parce que le gâteau grossit à mesure que l’économie des services se développe et que ceux qui arrivent ne sont pas en concurrence avec les populations modestes, ce ne sont pas les mêmes marchés du travail.
A offrir à l’élu RN du coin et après il faut juste courir avant qu’il vous le balance à la figure !
Si vous pensez que le sens au travail n’est qu’une question de management…
Lisez Les raisons de la défiance De Luc Rouban - Presses de Sciences Po, 2022
Pourquoi celui-ci ? Parce que le sens au travail c’est un peu de management mais beaucoup de sociologie et de sciences politiques. Quand même on se dit spontanément, de l’extérieur de l’action publique, que ceux qui bossent pour l’intérêt général évitent déjà les bullshit jobs… ce n’est pas vrai. Les amis ne blâmez pas (trop) vos managers, offrez leur des livres et tentez avec les plus ouverts des initiatives par le bas comme c’est bien expliqué dans ce livre. Un des deux auteurs, Thomas Coutrot a été un des premiers à comprendre l’angle mort de la réflexion sur le sujet à gauche de l’échiquier politique.
Un livre à recommander aux collègues des RH (check, dans ma collectivité, on a reçu l’auteur pour une session sur les futurs du travail!)
Si vous pensez que la participation citoyenne va résoudre la crise démocratique…
Lisez Faire participer les habitants ? - Citoyenneté et pouvoir d'agir dans les quartiers populaires - Marion Carrel, 2013 - Livre en accès libre en intégralité en ligne.
Pourquoi celui-ci ? Ce livre a déjà une dizaine d’années mais il est encore très pertinent et pose dès son titre la bonne approche : “Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires”. C’était avant les conventions citoyennes et l’émergence de la participation délibérative. L’autrice est sociologue et ce livre est nourri du terrain. J'ai été très impressionné par certaines initiatives décrites dans ce livre mais bon on va se le dire c’est l’exception.
Allez, après avoir lu ce livre, la participation Canada Dry va vous sembler encore plus insipide que d’habitude !
Si vous pensez que les services publics sont l’alpha et l’oméga de la démocratie…
Pourquoi celui-ci ? Parce ce que le livre est en même temps un constat sévère (la phrase ci-dessus en plus vraie en France qu’en Europe). Comme le souligne la lecture attentive d’Hubert Guillaud : “l’innovation démocratique a été évacuée de l’Etat. Il n’y a aucune utopie réelle française dans le livre éponyme du sociologue Erik Olin Wright par exemple. Les coopératives de services publics pour l’eau, les déchets ou l’énergie se sont démultipliées en Europe, notamment en Allemagne. En France, nous n’avons assisté qu’à une timide re-municipalisation. Ailleurs, les usagers sont propriétaires de ces nouveaux services publics ce qui leur assure un contrôle de leur organisation. Au Royaume-Uni, c’est l’État plus que les citoyens qui est le moteur du mouvement du service public ouvert (Open Public Services) et des coopératives sociales, comme dans le handicap.”
Un livre pour prendre un grosse claque dans la tronche et se remotiver en mettant des nouvelles lunettes pour voir les communs sous les radars tout de suite après.
Si vous pensez qu’une dose de concertation et quelques ateliers vont vous aider à construire un équipement municipal de qualité…
Pourquoi celui-ci ? Parce que ce guide gratos et en accès libre est vraiment réjouissant! On part juste de l’utilité sociale des équipements, ce qui suppose de sortir du geste-architectural-du-mandat… La bonne nouvelle c’est qu’on peut “vendre” les deux en utilisant l’expression magique de “maîtrise d’usage”. Vous allez voir le guide est à la fois accessible et suffisamment technique pour parler à vos maîtrises d’ouvrages. Essayez, ça résonne bien mieux que design ou innovation publique ou même co-construction...
Tout est là c’est déjà beaucoup mais ça ne suffit pas, on le sait bien. Il faut toujours le réseau socio-technique et l’impulsion politique autour.
Si vous pensez que l’accueil à la mairie c’est pas possible d’y changer grand chose après y avoir reclassé Jean-Jacques
Lisez “Pour un accueil expert de la relation usagers dans les services publics locaux” a été co-réalisée par Nasiha Aboubeker, sociologue, et par Etienne Bufquin, coach de dirigeants et de leurs équipes - Accès libre en ligne
Pourquoi celle-ci ? Allez je déroge un peu encore une fois ce n’est pas un livre mais une étude passionnante sur les métiers de l’accueil, les métiers du lien. Cette excellente étude va changer votre regard sur ces métiers et je l’espère vous vacciner définitivement contre la tentation du reclassement du bras-cassé à l’accueil de la mairie, ou pire, de la bibliothèque !
A poser sur le bureau du mauvais DRH qui suggère des reclassements pourris.
Si vous pensez qu’au fond, il y a trop de fonctionnaires…
Pourquoi celui-ci ? Alors oui entend ça depuis des années et parfois certains fonctionnaires le pensent et certains élus aussi… Allez on remet un peu d’histoire dans tout ça avec Emilien Ruiz qui montre que si la baisse est nuancée, l’alibi politique s’appuie sur un large éventail d’idéologies…
“Le « trop de fonctionnaires » renvoie à un « trop d’État » qui, lui-même, désigne des conceptions variées et variables de l’organisation des pouvoirs, de l’autorité, de la démocratie et, plus généralement, de la vie en société. Il n’y a rien de commun entre la dénonciation de l’État patron par Jaurès, celle de l’État Gulliver par Maurras ou celle de l’État obèse par Chirac, si ce n’est qu’elles ont pris appui sur le nombre des fonctionnaires.”
Si vous pensez que les bibliothécaires passent leur journée à lire des livres… (ou que c’est mon cas)
Lisez Comment parler des livres qu’on a pas lus ?, Pierre Bayard, éditions de Minuit, 2007
Pourquoi celui-ci ? Le livre est génial et le titre aussi ! La réponse à la question est ci-dessous issue du… livre que j’ai coécrit.
Merci d’être arrivé jusque ici, j’espère sur la fin vous plaira ! Au fond c’est quoi la culture ? Pierre Bayard :
La culture est la capacité à situer les livres dans la bibliothèque collective et à se situer à l’intérieur de chaque livre – fait qu’il est à la limite pas nécessaire d’avoir eu en main les livres dont on parle pour s’en faire une idée et l’exprimer, et que l’idée de lecture finit par se dissocier de celle du livre matériel, pour renvoyer à celle de rencontre laquelle peut tout à fait s’opérer avec un objet immatériel.
Et de mettre l’accent sur l’oubli dans le mouvement des flux incessants :
C’est de délecture dont il faudrait alors parler à la suite de Montaigne, pour qualifier ce mouvement incessant d’oubli des livres dans lequel nous sommes entraînés : un mouvement fait à la fois de disparition et de brouillages des références, qui transforme les livres, souvent réduits à leur titre ou à quelques pages approximatives en ombres vagues glissant à la surface de notre conscience. […] Lire ce n’est pas seulement s’informer c’est aussi — et peut-être surtout — oublier, et c’est donc se heurter à ce qui est oubli en nous.
Cette délecture n’est pas exactement déconnexion, mais oubli temporaire de soi, oubli sélectif qui dé-dédramatise l’angoisse de l’infobésité très présente aujourd’hui. Lire un livre ou naviguer sur le Web c’est nécessairement oublier ce qu’on a lu. Veiller, c’est presque un sport de combat, c’est nécessairement jouer avec des flux pour se jouer d’eux; l’économie de l’attention porte en creux une économie de l’oubli, tout comme la lecture de livres. Tout l’enjeu est de faire en sorte de construire des mécanismes et des relations capables d’assurer des « bibliothèques intérieures » pour les jeunes générations qui « lisent des images » et des mots sur l’écran de manière beaucoup plus intense que leurs aînés. L’enjeu c’est de permettre la construction de références appropriées en communs. Au fond, l’angoisse de la non-lecture et celle de l’infini du Web cache chez bon nombre d’entre nous celle de l’éclatement de la « bibliothèque intérieure commune » alors même que l’information numérique en décuple le potentiel.
Le bibliothécaire n’a rien du super-lecteur tel que l’homme de la rue l’imagine : celui qui lit tout ce qu’il achète et se coupe du monde par amour des livres. À l’inverse, le bibliothécaire n’est pas non plus l’imposteur qui n’a pas lu les livres qu’il propose ni le méprisable ignorant qui n’en maîtrise aucun contenu. Il est celui qui s’est suffisamment repéré sur un thème pour être capable de mettre en relation et d’outiller ceux qui le connaissent très bien ou qui veulent le connaître. À ce titre, il se distingue de l’amateur et agit à ses côtés parce qu’il n’agit pas pour sa propre culture, mais met sa subjectivité au service de la constitution d’une « vue d’ensemble ». La particularité de la non-lecture du bibliothécaire de Musil est en effet que son attitude n’est pas passive, mais active. Si de nombreuses personnes cultivées sont non lecteurs et si, à l’inverse de nombreux non-lecteurs sont des personnes cultivées, c’est que la non-lecture n’est pas l’absence de lecture. Elle est une véritable activité qui consiste à s’organiser par rapport à l’immensité des contenus pour ne pas se laisser submerger par eux. À ce titre, elle mérite d’être défendue et même enseignée.
Si je comprends bien Silvère... vous n'avez pas nécessairement lu tous ces ouvrages (je me demandais au fil de la lecture... mais comment fait-il pour absorber tous ces contenus, ces notions et les retraduire de manière aussi claire et synthétique ?).
Je vis comme une souffrance cette délecture que je vois nommée pour la première fois, ou la difficulté à parler des livres que j'ai lus.
À quand un post complet de votre part sur ce sujet, ou un MOOC pour l'enseigner comme vous le suggérez ou... un livre à dé-lire ensuite sur le sujet 😄 ?!
Un très grand merci pour ces suggestions ! :)