Le mot #stimulant Concernement
Penser le vivant avec Bruno Latour
En juillet dernier, j’ai été invitée aux universités d’été d’« Où atterrir ? ». Enfin, j’ai pu rencontrer Bruno Latour. J’ai vu son œil s’allumer quand il a compris que j’étais ingénieure de formation – l’un de ses grands combats était de réconcilier cultures scientifique et politique. Dans ma vie de militante, j’ai participé à beaucoup d’ateliers un peu décalés. Ce que j’ai vécu à Saint-Junien, lors de ces journées, ne m’a donc pas semblé absurde.
Je me suis, par exemple, retrouvée sur une scène, au-dessus d’une boussole dessinée sur le sol. Le but était de parler de nos « concernements » : qu’est-ce qui nous ferait nous lever même en pleine nuit ? On nous demandait de partir de ce qui nous touche intimement, en résistant à l’envie de pointer tout de suite des abstractions (comme « le capitalisme » ou la « crise climatique »). J’ai parlé de ma peur qu’un été prochain – nous n’en étions pas loin cette année – les habitants de Poitiers se voient coupés d’eau potable parce que les nappes sont à sec.
Dans un autre atelier, nous étions encouragés à décrire des « dépendances » : qu’est-ce qui est ou a été nécessaire pour que cette chaise en bois soit présente dans cette salle ? Il faut bien sûr des menuisiers, mais aussi des forestiers, un sol relativement sain pour la pousse des arbres, des gens qui luttent contre le réchauffement climatique et les feux de forêts, des logisticiens, bref, une chaîne d’humains et de non-humains. C’est ce travail de description que préconisait Latour pour « décongeler le paysage ».
Pourquoi ce mot ? Parce que le mot est magnifique, être concerné, c’est se sentir impliqué, prendre conscience d’un réseau de liens. A la différence de puissance d’agir, on ne parle pas de désir de se mettre en mouvement mais, d’abord, de décongélation. Je reviendrai sur ces démarches latouriennes. Et vous, quel est votre concernement dans votre quotidien ?
Initiative #réjouissante
Proposé par Martin Noblecourt, 1er adjoint à la ville de Chambéry et son équipe, ils nous proposent une mise en situation ludique dans la construction d’un Plan Pluriannuel d’Investissement (PPI), qui détermine une vision, des choix politiques d’investissement sur une mandature.
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Le cadre des quatre heures est posé. Martin nous déroule la construction d’un budget municipal.
Il explicite la complexité budgétaire avec des mots simples, aidé d’un diaporama fourni par ses services dont le design graphique a été retravaillé par l’agent en charge de la citoyenneté. En une heure, les propos appuyés par ses illustrations pédagogiques permettent au public néophyte de commencer avec une base de connaissance solide, chapeau !
On aurait envie de tout faire, mais attention, la difficulté est d’inscrire les dépenses d’investissement déjà engagées les années précédentes, les dépenses d’investissements courantes (réfection des routes, rénovation du patrimoine, bâti communal,etc.). Aïe ! La marge se resserre déjà… des choix doivent s’opérer, il faut trancher.
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On avance, le tableau se remplit vite…mais c’était sans compter sur les cartes « ? » et « ! » que les animatrices tout au long de l’atelier nous invitent à retourner.
Et là, Bing ! On nous annonce que le taux d’inflation augmente de 3% ! Une autre carte nous informe de l’augmentation de l’énergie ! Nos marges se resserrent davantage, on doit s’adapter. Nos choix, consciencieusement argumentés, débattus pour arriver à un compromis, sont durement jugés. Fait-on marche arrière sur tel projet, ou maintenons-le en abandonnant tel autre ?
Pourquoi cette initiative ? Parce que je n’avais jamais vu ce type d’atelier qui me semble assez chouette et bien mené. On est au delà de l’enveloppe d’un budget participatif puisqu’ici on joue avec tout le budget communal. Et si diminuer la défiance citoyenne c’était aussi expliquer le fonctionnement budgétaire actuel? De quoi se poser les bonnes questions, y compris les difficultés de compter ce qui ne compte pas. Grain de sable à la cathédrale, mais c’est intéressant !
Article #inspirant
Les enfants de l’apocalypse : libérer et politiser l’enfance - Terrestres
Notre monde contemporain pense l’enfant comme naturellement inférieur. On apprend à un enfant à devenir adulte, comme si l’adulte était le stade ultime à atteindre. Nous avons fixé l’adulte comme étant la norme : avant cela, l’enfant est imparfait. On lui fixe des stades de développement des courbes à atteindre : à 8 mois, peser 8 kilos, à 2 ans, empiler des cubes, à 6 ans, comprendre le non, etc. Mais ne peut-on pas renverser cette perspective ? C’est-à-dire arrêter de penser que l’enfant nous est inférieur, que sa pensée n’est pas assez « développée », qu’il ne comprend pas encore le temps de la manière dont nous le percevons. Nietzsche a ainsi esquissé l’idée que l’enfant, dans sa transgression des règles, était en fait peut-être un être révolutionnaire, capable de rejeter les normes sociales. D’autres voient les pensées, mots et dessins d’enfants comme des fulgurances de vérité. Des perceptions du monde plus crues, plus directes et souvent plus pertinentes que les nôtres. Il est impossible de trancher bien sûr. Mais c’est bien de se rappeler que le rapport enfant/adulte peut être renversé. Et que c’est peut-être nous qui méritons d’être instruit·es.
Pourquoi cet article ? En lisant cet article je me suis demandé quelle était la vision de l’enfant dans les approches participatives. On les sollicite de plus en plus souvent (les démarches villes à hauteur d’enfants, ou les conseils municipaux pour enfants) mais est-ce qu’on les écoute ? Où on les éduque avec une domination pédagogique ET technique ?
Merci Silvère ! Rapport à ton dernier lien et à la citation que tu en tires, je ne sais pas si tu connais l’œuvre d’Alice Miller, qui a notamment creusé le sujet de la « pédagogie noire » qui influence encore beaucoup l’éducation et la pédagogie telle qu’on l’entend dans les familles et à l’école, en France notamment, un peu moins peut-être en Scandinavie, au travers de laquelle on brise la volonté et la nature des enfants le plus tôt possible — le bouquin « C’est pour ton bien » en particulier en traite et la place dans une perspective historique de manière assez édifiante (euphémisme 😥).
Merci ! J'avais en tête que le "concernement" c'était notre façon de distinguer notre entourage sans y faire attention, sans entrer en relation avec lui.