Je me suis amusé à lister les séries qui mobilisent des imaginaires de l’action publique. Vous allez voir ça dit quelque chose de l’administration telle qu’on nous la (re)présente !
Je me suis concentré sur des bonnes séries, je les ai toutes vues et j’espère que ça vous donnera envie de les regarder ! Tous les liens pointeront vers l’excellent site de recommandation Sens Critique (où vous pouvez me suivre et retrouver cette liste)
J’ai fait un classement par catégories et j’ai essayé de me limiter à 2 ou 3 séries par catégorie.
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L’expérimentation publique mise en scène
On commence par le meilleur, les rares très bonnes séries dans lesquelles on montre une action publique expérimentale, une action publique qui fait quelque chose de positif à la société, tant bien que mal, qui cherche à bien fonctionner !
Pourquoi cette série ? Dans cette œuvre mythique qui raconte la vie à Baltimore, face à l’échec des politiques de lutte contre la délinquance et la drogue, un dispositif radical est expérimenté. La création d’une zone de libre vente des drogues ! L’idée est de réguler le trafic et les problèmes sanitaires qu’il entraîne (Hamsterdam) en le concentrant dans une zone de liberté de trafic pour y concentrer la prévention des violences tout en réduisant la circulation dans le reste de la ville (même idée que les salles de shoot). Le plus fascinant est que ça marche du point de vue des effets sur le problème de circulation de drogue et que cette expérimentation va subir le même sort que pas mal de tentatives audacieuses dans l’action publique : être instrumentalisée par une opposition politique pour être supprimée... De l’innovation publique et de l’évaluation sans le dire !
Pourquoi cette série ? Dans l'univers de "The Shield", la rémunération des informateurs est un élément central qui soulève des enjeux cruciaux pour l’action publique. Faut-il rémunérer les indics pour résoudre des enquêtes de plus gros calibre et s’affranchir de la loi en vigueur au nom de l’efficacité ? Le terrain pense que oui, la hiérarchie non, sauf quand ça les arrange… La question est posée dans plusieurs épisode et résonne fort avec de vrais enjeux actuels sur les politiques de lutte contre la délinquance ou le trafic de drogue.
Le personnel politique et ses luttes intestines
Dans cette catégorie l’administration se limite en général aux conseillers et directeurs de cabinets. Tout est concentré sur les stratégies politiques de pouvoir, et c’est jouissif. L’action publique est ici résumée à la conquête politique, une aventure moderne où peu importe l’efficacité des politiques publiques il faut juste être le gagnant des élections. Cela n’empêche pas bien sûr ces excellentes séries de traiter des “sujets de société” mais toujours sous l’angle de “mesures” de plans ou de zoom sur le terrain, jamais sous l’angle de la fabrique des politiques publiques encore moins de leurs effets. Et pour cause, on est toujours à l’échelle de l’Etat central et toujours dans un temps ultra court.
Pourquoi cette série ? La meilleure série politicienne française de tous les temps. Le local (Dunkerque) n’est ici qu’une base arrière pour le national, c’est le fief comme on dit. On est ici d’un seul côté de la frontière entre la politique politicienne et les politiques publiques. Il sont tous vraiment impressionnant d’intelligence politique mais se balancent, au fond, des conséquences de leurs décisions. Baron Noir, c’est une ode à la défiance citoyenne et le pire c’est qu’on adore ça !
Pourquoi cette série ? On ne peut qu’être amoureux (#inloveBirgitte) de cette femme si charismatique absorbée par le flux politique. La plupart des analyses et critique se concentrent sur elle, son habileté, son intelligence, sa vie sa famille (sa ménopause en saison 4 et ça n’avait jamais été mis en scène) mais rarement sur le fond de ses choix politiques. A ce titre, notons que par pur opportunisme, notre Birgitte préférée fait le pire des choix et sacrifie le Groenland à l’exploitation pétrolière. Ce cynisme (à peine corrigé) en dit long sur notre incapacité à sortir des modèles de la croissance. A quand une grande série politique qui porte un récit positif des transitions ?
A la maison blanche
Pourquoi cette série ? Surement la plus intelligente des séries politiques, et c’est tout le problème. On est ici en plein dans le mythe de l’homme providentiel. l’intelligence du Président tire la nation vers le haut. Pas besoin de (trop) débattre, pas besoin de complexité ni d’expérimentations, il suffit d’en parler avec le Président ou ses spin doctors toustes brillante.s. Cette série est celle du président jupitérien, elle en renforce le mythe, en souligne la force, sans jamais en montrer les limites. A ce titre elle est anti-politique ! Allez on va se le dire, avec un peu de caricature assumée, c’est la série préférée des Science-po-INSP-INET.
Les étranges rouages de l’administration
Dans ces séries, le centre de gravité c’est l'administration beaucoup plus que le monde politique. Tout se passe comme si la bureaucratie était le socle dépolitisé de l’absurdie ambiante.
Pourquoi cette série ? Hilarante série sur les coulisses du parlement européen ! Samy, le personnage principal est attaché parlementaire d’un député complètement débile, mais vraiment. Quand il débarque au parlement il ne sait rien du tout du fonctionnement et on va en découvrir les rouages avec lui en plein contexte de Brexit. L’administration est incarnée par Eamon (William Nadylam) qui joue le rôle d’un… administrateur. Ce personnage est intéressant parce qu’il est à la fois charismatique et froid, peu communicatif et incarne le sérieux et l’expertise de l’administration. Rien d’original donc mais ça change un peu des conseillers politiques ou des “Dircab” manipulateurs. Il incarne la frontière supposée étanche entre la politique tordue et la haute fonction publique supposée neutre. Cette frontière est un peu bousculée (saison 2) mais jamais franchie. Ce qui reste intéressant est son charisme et sa stabilité, sauf que sa compétence est axée sur les rouages du parlement même si en filigrane, sans divulgâcher, il influence !
Pourquoi cette série ? Là encore une série exceptionnelle qui se joue de la caricature des fonctionnaires chiants derrières leurs bureaux. C’est assez rare pour être souligné et on se surprend à comprendre, voire à admirer la DGSE la Direction générale de la Sécurité extérieure, ce mystérieux service de l’Etat consacré à la lutte contre le terrorisme. Je retiens tout spécialement le personnage secondaire Victor-Artus Solaro, dit Artus, qui joue le rôle de Jaunas Maury, ce jeune agent qui a tout de la caricature du geek de bureau rondouillard, mais qui se révèle un agent très efficace sur le terrain ! J’aime beaucoup la manière dont les scénaristes ont joué sur les clichés sur les fonctionnaires bureau versus terrain à travers ce personnage.
L’administration est ici très puissante (elle ne renonce jamais, elle veut toujours ramener les brebis égarées au bercail) et la politique est internalisée sous forme de luttes de pouvoir. Vient un moment où on ne sait plus si l’administration est protectrice ou malfaisante et cette hésitation est finalement assez juste sur notre rapport aux institutions.
Pourquoi cette série ? L’hôpital est un thème très couvert par les séries (ah Urgences!) mais dans celle-ci on touche du doigt grâce à Thomas Lilti, lui-même médecin, le fonctionnement d’un hopîtal en situation tendue (confinement) avec des bouts de ficelles. Les internes sont à la manoeuvre et on fait comme on peut. Le personnage du médecin albanais qui n’a pas obtenu son diplôme mais exerce quand même est assez intéressant de ce point de vue. Le fait aussi que la souffrance des soignants soit un impensé total et que l’administration de l’hopital ne soit pas en soutien est un grand classique.
En creux on note que jamais on ne prend le point de vue des patients qui sont toujours des objets de fiction mais n’influencent pas ou très peu le fonctionnement. Le point de vue de cette série est celui de la machine.
A la fin on se dit toujours : heureusement que les gens engagés sont là pour faire tourner cette machine qui marche à l’envers. Au fond les personnages subissent, mais ne se rebellent pas vraiment, et si c’était ça le problème ?
L’administration maltraitante
Ici on change de catégorie, l’administration n’est pas ambivalente, c’est le MAL, elle est maltraitante.
Pourquoi cette série ? À travers l’histoire émouvante d’Esther qui, à l’aube de son mariage, tente de reconstituer son passé, Little Bird s’attaque à la controverse de la "rafle des années 1960" au Canada, où le gouvernement arracha des milliers d’enfants aux communautés autochtones. Ici l’administration est un bras armé sans pitié. Elle broie les gens et ses jeunes recrues, avec le personnage de la jeune assitante sociale qui est entraînée par une plus agée dans la violence de ce sytème. On retrouve la jeune recrue en épisode 2 des années plus tard, elle va faire de la rétention d’information.
Le sujet de la série est tellement tragique actuel qu'un numéro d'aide est diffusé aux gens dans le générique, la fiction comme outil de prévention !
Cette série je l’ai vue (2 épisodes) à SériesMania 2023 à Lille, elle n’est pas encore diffusée en France.
Pourquoi cette série ? Petite pépite ! Au lendemain d'une virée nocturne bien arrosée, le jeune Naz, d'origine pakistanaise, se réveille aux côtés d'une jeune femme baignant dans son sang. Cette dernière a été poignardée et il ne se souvient de rien. Inculpé pour ce meurtre, il est désormais prisonnier du système judiciaire où, parfois, la vérité passe au second plan. Tout est dit dans ce pitch qui montre une machine judiciaire et administrative impitoyable. Pas de salut ici, les personnages sont seuls contre l’Institution.
L’impossible gestion des catastrophes par les services publics
Dans cette catégorie on trouve des acteurs publics qui gèrent très mal l’imprévu. Incapables de gérer l’après et s’encourager des formes de résiliences ou d’antifraligités dans l’après. La catastrophe est toujours une occasion d’amplifier le contrôle et de remettre du cadre. En contrepoint, Apagon montre que localement on s’adapte dans la douleur. Assez juste après le covid non ?
Pourquoi cette série ? Pas de surprise on retrouve David Simon dans la sérieTremé qui prend le soin d'analyser les difficultés rencontrées par les habitants de la Nouvelle-Orléans après le chaos qui règne dans le système éducatif, judiciaire et pénitentiaire du fait de l'inondation de près de 80 % de la ville après le cyclone Katrina. La lenteur des assurances à dédommager leurs clients est également évoquée, tout comme le problème des relogements. On est ici dans une administration qui, au lieu d’aide à la reconstruction, l’entrave comme dans cette scène édifiante qui illustre parfaitement l’écrasement des communs issu de la résilience, comme l’explique cet article :
Dans une scène a priori anodine, toute la tragédie de cette période est mise en scène. Albert Lambreaux, son fils Del et un ami artisan sortent d’un magasin de bricolage, le caddie plein d’ustensiles. Ce magasin, bien réel16, appelé « The Preservation Salvage Store », est en fait un dépôt-vente qui met à disposition des clients des matériaux récupérés sur des maisons détruites par l’ouragan et l’inondation. Le dialogue ne nous apprend rien de cela, mais seulement qu’Al doit recommencer les réparations qu’il a effectuées pour la plomberie de sa maison car les autorités sanitaires n’ont pas validé ses travaux. La reconstruction semble donc rendue impossible du fait d’un appareil bureaucratique écrasant, et ce malgré les efforts des citoyens à s’en sortir par eux-mêmes.
Pourquoi cette série ? Dans cette série clinique qui raconte la catastrophe de Fukushima on découvre une administration totalisante pour ses agents. Le récit de la catastrophe nucléaire met en scène des fonctionnaires sacrificiels et une classe politique complètement soummise à la diffusion d’informations des fonctionnaires. Petite place ici donnée dans la saison 1 à l’invention de solution en dehors du manuel et des procédures. La situation de catastrophe semble une des rares manières d’injecter de l’inattendu et donc du nouveau dans le fonctionnement de la machine ! Quant aux gens, il ne sont représentés que via les conférences de presse et les éléments de langage des temps de catastophes.
Pourquoi cette série ? Mention spéciale à cette série catastrophe qui fait écho à la résilience apprenante (l’antifragilité) avec l’arrivée d’une tempête solaire qui coupe durablement l’électricité et oblige les acteurs d’un hopital public à trouver de nouvelles alliances par exemples avec des ferrailleurs qui prennent les machines devenues inutiles en échange de denrées. Je n’ai vu que les 2 premiers épisodes à SériesMania 2023, mais j’ai très envie de savoir comment la machine hospitalière va se réinventer ou se crasher.
L’action publique locale écrasée
La ruralité, les petites villes, le quotidien des problèmes des gens, ça fait un matière à comédie ou à drame bien noir. Mais les clichés sur les fonctionnaires sont tellement puissants que le local dans la ville ça ne peut pas être autre chose que la police (il faut qu’il se passe des trucs louches) et dans une forme de misère sociale (la ruralité ou les petites villes délaissées)
Pourquoi cette série ? Sous l’uniforme de la gendarmerie, les deux acolytes assurent la loi et l’ordre en sillonnant les routes d’Auvergne en camping-car. Une série en sept épisodes de dix minutes. Un format de vrai-faux documentaire pour comprendre le travail quotidien de la gendarmerie de proximité mobile ! L'occasion de se rendre compte de la réalité du service public sous cet angle, entre service aux populations et "enquête". Des thèmes rares pour une série confidentielle et attachante…
Pourquoi cette série ? Une série bien noire qui montre qu’au delà du fonctionnaire de police il y a un être humain… Bon rien de révolutionnaire dans la manière d’aborder les thèmes du local-pourri mais une excellente série, bien déprimante sur l’action publique locale.
L’effacement des politiques publiques
Dernière catégorie pour montrer, en creux ce qui se passe quand il n’y a plus aucun service public, quand l’action publique disparaît totalement ! On est donc dans deux magnifiques séries post-apocalyptiques. J’ai adoré ces séries par leur ampleur, leur ambition et leur profondeur.
Pourquoi cette série ? Série majeure, ample, qui raconte un monde où une maladie tue les jeunes adultes dès la puberté. Dans ce monde, tout est repensé, reconstruit parce que chacun sait que seules quelques années de vie lui sont données. A quoi ressemble, dans ces conditions, sans les adultes, une “ville à hauteur d’enfant” pour reprendre l’expression des urbanistes ? A un vaste terrain de jeux ! On y trouve une course-poursuite inoubliable dans un gigantesque escalier jonché de vêtements d'enfants, un rituel de la peinture incroyablement violent et des jeux mortels aussi bien que des jeux innocents. Le jeu prend alors tout sa dimension d’appropriation de l’espace et on prend la mesure de notre pauvreté et de l’étroitesse des “espaces capables” de nos villes pour d’accueillir la créativité des enfants….
On y trouve même, dans le dernier épisode, Anna qui assiste à la décomposition du corps de sa mère dont elle va devoir prendre en charge (sur les conseils de sa mère qui lui a laissé des consignes avant de mourrir) les restes biologiques pour les ritualiser jusqu’à construire ses propres reliques décorées sur son squelette, comme un dessin d’enfant. C’est magnifique. Quand il n’y a plus d’institutions, c’est de spiritualité dont nous avons besoin (et c’est Baptiste Morizot qui fait très bien le lien entre les deux).
Station eleven (c’est aussi un livre)
Pourquoi cette série ? Dans cette série navigue entre la catastrophe (une grippe qui décime la population) et des années plus tard. Tout est centré sur une troupe de théâtre itinérante. Déjà rien que ça c’est super intéressant, quand il n’y a plus rien il y a encore besoin de théâtre. La troupe joue Shakespeare et se lie à un musée de la Civilisation qui expose tout ce qui ne sert plus à rien (il n’y a plus ni electricité ni internet depuis des années). Cette série raconte comment on peut au delà de la réaction (c’était mieux avant) et de la fuite en avant technologique (le progrès) raconter une histoire d’alliances nouvelles entre les choses et les hommes quand tout a disparu. On est au coeur de la redirection, mais elle n’est pas comprise sous l’angle écologique.
Et si au fond c’était ça l’essence de l’action publique, retrouver des valeurs communes et inventer règles pour prendre soin du monde ?
Merci d’avoir lu jusqu’ici, bon été et à bientôt en septembre !
Bonjour et merci pour ce panorama passionnant !
3 oubliées à mon sens:
- Parks and recreation, une série géniale sur le service des espaces verts d'une petite ville de l'Indiana, qui montre le potentiel de l'action publique locale portée par des agents passionnés (malgré un directeur libertarien qui veut la fin des institutions)
- Yes Minister, série anglaise culte qui traite des relations entre le ministre des affaires administratives et la Haute fonction publique extrêmement brillante qui cherche essentiellement à neutraliser le pouvoir politique
- La Servante Ecarlate, série qu'on ne présente plus, où sont représentées les conséquences d'un coup d'Etat fasciste et de l'effondrement de tous les droits fondamentaux qui encadrent l'action publique (le dilemme moral du gynécologue est particulièrement frappant)
A voir et à revoir!
Clement Le Bras